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Qui sont les Alaouites, cette communauté proche de l’ancien pouvoir des Assad ?

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Des Alaouites, membre de la minorité religieuse dont était issu Bachar al-Assad, sont à l’origine d’une insurrection sans précédent en Syrie après la chute de l’ancien régime. Issus des restes de l’armée et des milices pro-gouvernementales, ces insurgés cherchent à défendre leurs bastions communautaires face au nouveau pouvoir. Qui sont ces Alaouites et quelles sont les motivations de leur soulèvement ?

Déposez vos armes et rendez-vous avant qu’il ne soit trop tard”, a déclaré le président de la transition Ahmed al-Charaa aux insurgés alaouites dans un discours diffusé vendredi 7 mars sur la chaîne Telegram de la présidence syrienne. “Vous vous en êtes pris à tous les Syriens et avez commis un début d’une insurrection alaouite sans précédent depuis la fin officielle de la guerre civile.

“Dans une attaque bien planifiée et préméditée, plusieurs milices d’Assad ont attaqué nos positions et nos points de contrôle, ciblant plusieurs de nos patrouilles dans la région de Jablé”, témoigne Mustafa Kneifati, directeur de l’administration générale de la sécurité à Lattaquié.

Plus de 532 civils alaouites auraient été tués depuis jeudi, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. L’ONG signale cependant un “retour au calme relatif” dans la région, mais précise que les forces de sécurité poursuivent leur “ratissage dans les zones où se retranchent les hommes armés”.

Qui sont les insurgés alaouites ?

Ces insurgés sont essentiellement des partisans du régime déchu, issus en grande partie de la communauté alaouite, minorité dont sont issus les Assad. Depuis les années 1970, avec l’accession au pouvoir de Hafez al-Assad, père de Bachar Al-Assad, la communauté alaouite a occupé des positions clés au sein de l’appareil sécuritaire et militaire syrien. Cette surreprésentation a renforcé leur lien avec le régime, assurant leur protection et leur ascension sociale. Mais cette association étroite a aussi exposé la communauté à des tensions communautaires.

Aujourd’hui, les Alaouites regroupent des restes de l’armée et des services de sécurité qui avaient fui vers les montagnes côtières après la chute de Damas, ainsi que des milices locales pro-gouvernement. Le mouvement opère de façon clandestine et décentralisée.

Si aucun programme politique clair n’a été publié par les insurgés, implicitement, ils visent à déstabiliser le nouveau pouvoir et défendre leurs bastions communautaires. Leur objectif pourrait être de restaurer l’influence de l’ancien régime ou, du moins, de préserver une autonomie alaouite face à un gouvernement dominé par des islamistes sunnites. Après des années de guerre très polarisée, ces Alaouites armés se posent en derniers défenseurs du clan Assad et de leur communauté, qu’ils estiment menacée.

Leur soulèvement peut aussi être lu comme une révolte désespérée pour la survie : les Alaouites avaient bâti leur sécurité sur l’appareil Assad, et son renversement les a laissés craindre des représailles et une perte totale de statut.

Sur le plan intérieur, les insurgés alaouites apparaissent isolés. Ils combattent frontalement le gouvernement de transition (issu de l’opposition sunnite) et n’ont aucune alliance avec les autres composantes syriennes, toutes anti-Assad.

Les Alaouites sont des chiistes duodécimain et vénèrent Ali (Ali ibn Abi Talib), considéré comme le premier imam de cette branche de l’islam. Ils sont principalement concentrés dans les montagnes côtières de l’ouest de la Syrie, notamment dans les gouvernorats de Lattaquié et de Tartous. Les Alaouites sont également présents dans les plaines autour de Hama et Homs, ainsi que dans les grandes villes syriennes. Au total, ils représentent 8 à 15% de la population syrienne, selon une étude de Minority International Group et du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO) de 2015.

Quelle est l’origine du soulèvement ?

Ce mouvement s’enracine dans la dynamique religieuse du conflit syrien. Depuis 1970, la famille Assad règne à Damas en s’appuyant largement sur les Alaouites dans l’armée ou les services secrets.

Lors de la guerre entre 2011 et la fin de 2024, la plupart des membres de cette communauté sont restés fidèles au régime, redoutant la vengeance d’une opposition majoritairement sunnite et souvent islamiste.

La victoire surprise de la rébellion en décembre 2024, menée par le Hayat Tahrir al-Cham (HTS) et l’Armée nationale syrienne, avec l’appui de la Turquie, a soudainement inversé les rôles.

Quelle réponse du gouvernement syrien de transition ?

Le pouvoir intérimaire de Damas, dirigé par le président , Ahmed Al-Charaa (ancien chef de l’insurrection islamiste anti-Assad), a réagi avec fermeté. Les forces de sécurité ont lancé une vaste opération militaire de ratissage dans les zones insurgées. Des couvre-feux ont été décrétés dans les principales agglomérations pour faciliter les opérations. Les poches rebelles auraient été repoussées vers les zones rurales et montagneuses, autour de Banias, Jablé et Qardaha, le village natal d’Assad.

 Si le gouvernement appelle à éviter toute exaction ou débordement, les ONG dénoncent des abus commis par l’armée nouvelle. Le gouvernement de Damas les a qualifiées de “violations isolées” commises par certains éléments indisciplinés, promettant des enquêtes afin de ne pas entacher sa légitimité.

Quelles sont les réactions internationales ?

Les alliés du nouveau pouvoir, notamment les pays sunnites de la région, ont exprimé leur soutien à Damas et condamné l’insurrection alaouite. La Turquie, la Jordanie et l’Arabie saoudite ont dénoncé des “groupes hors-la-loi” déstabilisateurs, prenant fait et cause pour la lutte anti-insurgés menée par l’État syrien. Ces pays, qui avaient combattu l’influence d’Assad et de l’Iran, voient dans cette révolte un danger de retour en arrière.

À l’inverse, les soutiens de l’ancien régime sont plus critiques : l’Iran a déclaré s’opposer aux meurtres de civils, garde un œil sur la communauté alaouite et appelle implicitement à la protéger. La Russie, de son côté, a adopté une position intermédiaire : Moscou s’est dite préoccupée par ces violences et appelle les autorités syriennes à la “désescalade pour stopper le bain de sang”.

Les puissances occidentales appellent également au calme : l’Allemagne a exhorté toutes les parties à éviter “une spirale de violence”, soulignant l’impératif de protéger les civils. L’ONU, par la voix de son émissaire Geir Pedersen, s’est dite “profondément alarmée” et a réclamé la retenue de part et d’autre.

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